- Routine quotidienne. -

Fauste avait passé une bonne partie de la matinée dans la salle n°203, à ne pas faire grand chose, mais elle passait le temps, comme d'habitude. La soirée de la veille l'avait bien fait rire. Elle avait pu photographier plein de ses camarades dans des situations embarrassantes. Des photos dossier, disait-on. D'ailleurs, parmi ses nombreux clichés, il y en avait une qu'elle appréciait tout particulièrement. Une bêcheuse du lycée, blonde avec des cheveux impossibles qui s'était mise à danser... Enfin, si on pouvait appeler ça danser. Apparemment, cette fille s'était retrouvée la tête dans la cuvette. Quoi de plus pitoyable?

Les autres étaient toujours en train de nettoyer les dégâts de la fête. Fauste, elle, considérait cela comme une perte de temps. Elle avait depuis longtemps décidé que de telles tâches ne devaient pas être exécutées par des personnes comme elle. Mais, l'ennui dans ce petit lycée pathétique, c'est que personne n'était comme elle. Elle était unique. Et elle ne le savait que trop bien. Son lecteur mp3 vissé sur les oreilles, elle se passait en boucle une chanson à la pointe de la hype. Ce jour-là, Fauste portait un jean slim gris foncé, une tunique d'un gris moyen à manches courtes, un peu bombées,un ruban de soie enfilé en-dessous de sa poitrine. Son décolleté laissait entrevoir le creux entre ses seins. Elle portait également des escarpins gris moyen, pour l'assortir à son haut. De nombreux accessoires complètaient la panoplie.

Elle descendait les escaliers de sa démarche lente et assurée. Un peu comme une mannequin, si on regardait bien. Elle voulait se rendre dans le hall, afin de trouver un peu de tranquilité et échapper aux serpillères et autres outils d'entretien, ainsi qu'à cette insoutenable odeur de savon détergeant. Elle entendit des voix. Deux personnes semblaient parler, elle repéra une voix d'homme, et l'autre... Devait être une femme. Elle s'approcha tranquillement, prit place sur un canapé taupe. Les couleurs des tissus étaient vraiment ternes, ça faisait vieillot. Gerbatoire, en réalité. Fauste ne prêta pas attention aux deux personnes, adultes. Elle s'assit, et poussa le volume au maximum, pour ne pas être dérangée par leur conversation.

-Oh putain ma têête..."

Charlie descendait les marches des escaliers d'une démarche plus qu'incertaine. Elle se demandait furieusement qui était l'imbécile qui avait eu l'idée à la con de faire des escaliers qui bougeaient. Ses souvenirs de la soirée étaient très flous, et une immonde odeur de Ricard sans eau lui remontait à la tête rien que d'y penser. Elle se souvenait avoir roulé un patin à une fille qu'elle connaissait même pas (un gage de la queen bee of course, ça lui apprendra à jouer aux jeux d'alcool avec cette pintade.), et après dix verres de Get 27, s'être mise à danser puis à vomir ses tripes.

*Au moins, tout le monde était mort, personne s'en souviendra.*Pensa t-elle naïvement.

Elle arriva enfin à toucher le sol béni des dieux. Les escaliers et elle, marmonna t-elle pour elle même, s'était terminé, maintenant elle prendrait l'ascenseur...Dommage qu'il n'y en est pas.

-Putain j'y crois pas, on est dans le collège de bourge' et ils sont pas foutus de mettre des ascenseurs...Au moins des escalators, chaipas !!"

Elle se rendit soudain compte qu'elle parlait toute seule, et que beaucoup de gens la regardait -Du moins plus de la moitié des trois ou quatre personne du hall. Elle baissa les yeux et vit qu'elle portait une robe noire qui avaient de très grandes ressemblances avec une nuisette, un boa orange fluo sur les épaules et qu'elle était nu pieds. Elle tourna la tête et vit son reflet dans une glace ; tout le noir qu'elle s'était mis autours des yeux avait coulé, et accentuait son air de Junkie en Overdose. De plus, sa robe avait une bretelle cassée, et dévoilait une bonne partie de son décolleté. Elle soupira, et se sentant chanceler de plus belle, se laissa tomber sur un canapé. Elle tourna lentement la tête et vit un professeur et une pionne.

-Salut."Marmonna t-elle les yeux fermés, consciente qu'elle allait se prendre au moins trois heures de colle pour tenue indescente.

Fauste était un peu lassée. Le professeur d'arts et compagnie était vraiment un enfoiré. Toujours en train de reluquer les filles. Bon après, ce n'était pas sa faute si elle était irrésistible, mais l'idée qu'un parasite tel que ce prof la regarde sans arrêt... Ca la rendait un peu blasée. Avec son air de suffisance extrême, ajoutée à son expression d'extrême lassitude, elle changea de chanson, ne prêtant pas attention aux remarques du professeur, en particulier parce qu'elle ne pouvait pas les entendre. Elle le voyait se pavaner comme un paon en chaleur devant cette fille miteuse. Sans intérêt, à vrai dire. Elle semblait n'avoir aucune personnalité. Enfin, c'était la pionne du lycée. Il ne fallait pas avoir inventé l'eau chaude pour être pion, ici.

Et puis, une voix lointaine. Eraillée. Dans la cage d'escaliers. Fauste connaissait tout le monde, ici. Elle aurait reconnu cette voix entre mille. C'était bien la voix de cette dépravée. Cette espèce de blonde dont la photo logeait dans sa pochette. Elle était fringuée comme une poubelle. Fauste se dit que, si elle avait été présidente de la république, elle aurait prévu des sanctions pour les gens qui étaient si mal habillés. En réalité, tout le monde serait sanctionné. Sauf elle, bien entendu. Personne n'avait de style très original, à son exception, mais c'était vraiment navrant. Sa robe ne ressemblait à rien, on aurait dit un sac poubelle. Quant à son boa... La couleur n'était vraiment pas assortie avec ses cheveux tellement décolorés qu'ils prenaient une légère teinte verdâtre.

La blondasse s'était posée à côté d'elle. Elles avaient osé, elle et son insignifiance, s'asseoir à côté d'une fille aussi bien qu'elle. Elle lui avait même adressé la parole. Comme si elle pensait pouvoir lui parler. Fauste la toisa d'un regard mauvais, comme si elle observait la dépouille d'un insecte décédé dans de terribles conditions, puis détourna la tête, faisant comme si elle n'était pas là. Elle soupira une fois de plus, faisant bien comprendre à toute l'assistance qu'elle était vraiment lassée. Elle se doutait bien que cela importait peu pour tout le monde. Mais elle se foutait des autres. Ce qui importait, c'était elle. Et seulement elle.

Charlie fit un sourire ironique à la surveillante bab' qui lui disait gentiment que sa tenue était digne d'une catin. (Tout en sous-entendu bien sur. De toute manière personne ne lui parlait franchement.). Elle en avait marre qu'on la juge tout le temps. Elle savait bien ce que tout le monde pensait. Elle remonta sa robe, resserra son boa contre sa poitrine, et regarda juste au dessus de l'épaule de la pionne. Le professeur d'Arts en tout genre lui matait le cul, avant de se détourner vers la Queen Bee. Charlie soupira.

-Nan mais vous pouvez l'dire que chui fringuée comme une poubelle, ça fait longtemps que j'ai perdue mes illusions sur ce bahut de merde."

Charlie se leva en titubant. L'alcool lui allait vraiment pas. Sa peau livide semblait encore plus pâle que d'habitude. Elle marchait "tout droit", sans savoir où aller dans ce hall trop grand pour elle. Après quelques mètres, elle se retourna et lança ;

-Mais que la miss elle soit en moule-cul et la poitrine à l'air, ça tout le monde s'en branle sévère hein ?" Dit-elle avec un sourire un peu hystérique. Elle choisit de s'asseoir en plein milieux du hall, par terre. De toute manière elle s'en foutait, ils étaient tous coincés ici, et si ils commençaient à la forcer à faire ceci ou cela, elle risquait bien de s'énerver. Elle n'avait pas peur des pions, ni des profs. Ils ne connaissaient même pas son nom. Elle passait inaperçue quand elle était en cours, et le reste du temps elle avait le droit aux réprimandes sur ses vêtements.

-Allez tous vous faire voir."Murmura t-elle, la tête sur les genoux.

Fauste n'écoutait pas ce que lui disait le tombeur. Il avait bien reluqué les fesses de la pionne avant de venir s'attarder sur son décolleté. N'écoutant pas la remarque, elle claqua des doigts, la main au niveau de sa poitrine, et monta son index vers le haut, en lui faisant signe que ses yeux étaient bien sur son visage, et pas sur ses seins, si beaux soient-ils. Entre temps la pionne avait... réprimendé la clocharde. Encore fallait-il parler de réprimande, parce que des petits mots tous doux comme ceux qui sortaient de la bouche mielleuse mais fatiguée de la surveillante ressemblaient plutôt à des caresses qu'à des remontrances. Fauste soupira, pour au moins la deuxième ou la troisième fois.

Soudain, la clocharde avait semblé parler. Fauste arrêta son mp3, pour écouter ce qu'elle disait. Cette blonde était la seule personne qui méritait à peu près que l'on s'intéressât à ce qu'elle disait, pour l'instant du moins. Ca alimentait les rumeurs. Oho, apparemment, la petite blonde avait décidé de péter son câble quotidien. Ca ne changeait pas vraiment de d'habitude, mais avec l'alcool, cela n'arrangeait rien. Elle commençait à tourner en rond dans le hall, puis lâcha une remarque assez crûe. Tout le monde s'en branle sévère... Pourquoi pas. Fauste n'allait pas répondre à cela. Ce n'était pas à elle de le faire. C'était si futile. A la place, et pour la première fois de la journée, elle décida d'ouvrir la bouche. Il était au moins une chose que l'on pouvait dire de cette jeune ordure, c'était qu'elle n'ouvrait sa grande bouche que de temps en temps. Mais ce n'était généralement pas pour être gentille.

« Hum... Ca empeste l'alcool ici. Dommage qu'on ne puisse pas ouvrir les fenêtres pour aérer. »

Alors, comme pour chasser cette mauvaise odeur, Fauste se leva du canapé, et commença à marcher, les talons de ses escarpins claquant sur le sol glacé de résine. Elle alla se poser le dos contre un mur, la jambe droite légèrement pliée, les mains dans les poches arrières. Si elle avait été gentille, elle aurait sûrement passé quelques fringues à la clocharde. Mais déjà, elles ne faisaient pas la même taille, et, de plus, elle n'était pas gentille. Quel malheur pour cette pauvre blonde, elle était à présent assise en plein milieu du hall. Il ne fallait vraiment pas avoir peur du ridicule. Fauste haussa un sourcil dédaigneux et tourna la tête vers les deux adultes, oubliant alors sa... camarade.

" Allez tous vous faire foutre, bande de connards. "
murmura-t-elle, la voix qui tremblait.

Charlie n'était pas seule, dans le hall. Fauste était toujours là, et assistait à la scène avec un certain amusement. C'est fou comme certaines personnes prônaient le mélodrame. Son professeur lui avait fait tout un discours avantageux. Et il espérait un entretien personnel avec elle? L'ambitieux. Fauste n'allait pas se fatiguer à monter l'étage une fois de plus cette journée. Il patienterait, tant pis. Et elle n'avait aucune envie d'aller se faire peloter par un proxénète en chaleur, de toutes façons. Sa peau était trop parfaite pour que quelqu'un comme lui puisse la toucher. A cette pensée, Fauste fit une grimace. Elle fut un peu soulagée quand il fut parti. Elle ne supportait pas trop cette ambiance pesante qu'il avait créée.

Peu après, la clocharde, elle aussi, entama un long discours. Pour se justifier auprès de la pionne. Cette fille n'arrêtait pas de se plaindre, s'en était affligeant. De qui était-ce la faute, si elle se retrouvait avec une gueule de bois? De la sienne, c'est tout. Il ne fallait pas mettre les autres en cause. Mais elle ne pouvait donc pas se taire, cette blondasse? Elle haussait le ton de temps en temps, ce qui donnait à Fauste un léger sourire sarcastique. Elle aimait bien la voir s'égosiller, comme un petit porcelet que l'on aurait attrappé. Une agréable vision de Charlie avec une pomme dans la bouche prête à entrer au four entra dans sa tête. Fauste étouffa un rire silencieux. C'est alors que la blonde s'approcha d'elle, lui parlant à quelques centimètres du nez.

« Boucle-la, t'as une haleine épouvantable! »

Elle sortit une boîte de pastilles à la menthe de sa poche et en donna une à la clocharde, en lui faisant elle aussi un clin d'oeil. Ensuite, ce fut au tour de la pionne de péter une durite. Elle semblait outrée des propos que le prof lui avait tenu. C'est fou comme les gens se respectaient, ici. Elle semblait dégoûtée. Elle pensait certainement qu'il allait vouloir lui parler d'elle. Les hommes sont tous pareils, elle devait pourtant le savoir. Il y avait à peine cinq minutes, il semblait prêt à lui voler un baiser, et à présent, il était parti, lui ayant débité toutes les insultes qu'il avait pu dire. Une vraie ordure. Fauste sourit. Un sourire malsain.

Quand elle se retrouva seule en compagnie de la jeune blonde, Fauste la regarda un moment. Elle était médiocre, dans sa robe déchirée, cassée, et son écharpe de cabaret. Fauste se demandait s'il lui restait un vieux t-shirt passé de mode, qu'elle aurait pu garder pour des journées où elle aurait dû se salir. Elle s'approcha de Charlie, mais pas trop près, tout de même. On ne savait pas tellement à quoi s'attendre avec ces gens-là, et, de plus, elle puait l'alcool et le tabac froid. Continuant de la fixer d'un air neutre, elle lui adressa la parole d'un ton égal.

« Tu devrais aller prendre une douche et te changer. Enfin, c'est un conseil. Fais-en ce que tu veux. »

Charlie regarda Fauste avec un sourire malveillant. Cette fille lui inspirait tout sauf de la sympathie ; Elle était pourtant magnifique, mais son air arrogant rendait à son visage une beauté de poupée barbie.

*Avoue-le, tu aimerais bien ressembler à ça. Rêve pas, toi t'es moche et c'est la vie.*

Chassant ses idées noires, elle prit la pastille à la menthe que Fauste lui avait donné.

-Merci. De toute manière tout ce qui ne vient pas de toi pue. Même ce chewing-gum si raffiné dans ta main doit à présent avoir un goût de poubelle, n'est-ce pas ? Et bien sûr que je vais me changer, ça ne me plaît pas tellement de ressembler à une arpenteuse de trottoirs."

Elle tourna les talons, la démarche maintenant plus normale depuis le passage de l'eau glacée sur son visage. Elle se sentait étrangement vide. Les autres élèves commençaient à affluer, et elle sentait leurs regards moqueurs lui brûler la peau. Elle avait l'habitude des rires et des rumeurs sur son compte. Mais ce n'était pas pour ça qu'elle les aimaient. Cette sensation de méprise générale l'étouffait. Elle se retourna, ramassa son boa qui était à quelques mètres d'elle, le passa autours de ses bras et monta les escaliers. Arrivée à la quatrième marche, lorsque les rires étaient de plus en plus fort et que la rumeur "porte-elle une culotte ?" s'intensifiait, elle se retourna brusquement et salua la foule.

-Je vous salue bien bas, Camarade !" Lança t-elle avec un sourire ironique.

( TOPIC CLOS. )