1er Cours~Théorie du boogie

La sonnerie de onze heures venait de sonner dans le grand batiment lorsque Stanislas passa la porte de la salle n°321. Il attendait ses élèves, ils allaient probablement être peu nombreux pour ce cours sur la théorie du boogie. Il avait choisi ce thème pour reprendre un peu dans l'ordre du programme. Il fallait qu'il finisse ça aujourd'hui ensuite viendrait la pratique du théâtre ou l'analyse de la biographie de Nicki de Saint-Phalle.

Il alla s'asseoir au gigantesque bureau face aux tables vides et sortit de sous le bureau les photocopies soigneusement rangées. Il espérait que les élèves sachent au moins un minimum sur le boogie sans quoi... Il y passerait le mois. Il soupira silencieusement et passa sa main dans ses cheveux : sa bonne humeur d'hier s'était envolée durant la nuit et n'en restait qu'un sentiment d'attristement vague. Il était définitivement frustré. Il soupira. Et en plus! Il allait devoir supporter la vue de ses belles élèves en classe. Trois spécimènes en tout qui allaient se partager son attention. Il grimaça, se massa un instant la nuque et soupira bruyamment. C'était vraiment pas son jour.

Finalement, il se releva, lissa sa chemise brice rouge rayée, puis sortit de sa poche de pantalon un crayon veleda et marcha jusqu'au tableau. En gros il y écrivit :
Le Boogie-Woogie, danse précurseur du rock and Roll basée sur une grande quantité de piano.

Clara passa la tête par l'embrasure de la porte n°321. Visiblement, c'était bon.
Elle entra donc dans la salle, son classeur serré sur sa poitrine.

- Bonjour Professeur.

Elle sourit poliment audit professeur. Elle avait toujours eu cette façon un peu désuète de s'adresser aux enseignants. Il ne fallait pas y voir une pédanterie ou un fayotage particuliers, c'était sa manière d'être, tout simplement.
Elle lut l'intitulé du cours avec attention avant de se diriger vers sa place habituelle - une table à gauche, au deuxième rang, près de la fenêtre - pour y déposer ses affaires. Elle les sortit en silence, les yeux toujours fixé sur l'inscription veleda.

Elle avait aujourd'hui son premier cours d'arts depuis la fin des vacances. Kathy marchait, seule dans le couloir menant à la salle de cours. Dans son sac en bandoulière, elle avait glissé ses dessins des vacances (il y en avait une bonne trentaine, soit dit en passant).
Jetant furtivement un regard à sa montre, Kathy éteignit son lecteur mP3 lorsqu'elle parvint devant la porte de la salle.

Elle toqua (inutilement, certes) à la porte et entra. Monsieur de la Mandel venait d'écrire au tableau le titre du cours. Youpi, ils allaient étudier la théorie du boogie-woogie. À cette pensée, Kathy sourit : elle avait joué beaucoup de morceaux de boogie il y avait quelques années de cela. Bref, préférant laisser les souvenirs à leur place, Kathy préféra lancer un petit « Bonjour! » enjoué.

Refermant la porte, elle regarda la salle plus en détail et vit qu'une élève était déjà assise. Elle s'assit derrière cette dernière et sortit son bloc-notes et ses dessins.

Monsieur de la Mandel s'était rassis derrière son bureau. Kathy retira sa veste et relissa ses cheveux d'un geste preste. Examinant le professeur du coin de l'œil, elle remarqua qu'il avait l'air exténué et de mauvais poil. OK. Il ne fallait pas l'énerver aujourd'hui...

Alors qu'il avait le dos tourné, il entendit le pas d'une jeune fille passer le seuil et une voix claire lancer un "Bonjour professeur." Il fit un sourire, bien caché par son corps et le tableau, termina d'écrire le titre sur le tableau et se retourna vers la classe.

Au même instant, une seconde élève entra.

Kathy Haggis et Clara Langlois. Deux des spécimènes auquels il avait pensé. Deux des rares élèves qui ne rataient jamais un cours. Son sourire se fit plus formel.

"Bonjour mesdemoiselles." Il alla se rasseoir à son bureau, regarda par delà le meuble de bois les deux visages assis face à lui. Il n'aimait pas particulièrement cette position du prof envers l'élève mais y voyait en cet instant un excellent moyen de mettre sous contrôle ses nerfs pour l'heure suivante. *Heureusement que j'en ai pas que des comme ça.* Pensa t-il mi-soulagé, mi-amer. Les deux lui souriaient, attendant qu'il se mette au boulot. Après tout, il était payé pour ça : leurs apprendre les bases des choses qu'elles connaissaient déjà. Qu'elles connaissaient déjà les bases du sujet, ça se voyait à leurs visages. Surtout chez Kathy, qui aborait un gentil sourire confiant. Elle devait dans ses années de piano avoir fait plusieurs partitions de Boogie-Woogie, c'était dans tous les programmes de pianiste normal. "Puisque vous êtes déjà là et à l'heure, nous allons pouvoir commencer. Vos camarades arriveront surement bientôt..."

Il s'arrêta un instant, croisa et décroisa ses pouces, jeta un coup d'oeil sur la table de Kathy aux dessins qu'elle avait l'habitude d'apporter et proposa : "Si vous voulez me montrer vos dessins mademoiselle Haggis, vous pouvez me les apporter à la fin du cours."

Il se leva, prit son crayon veleda en main et demanda : "L'une de vous deux connait-elle l'époque du Boogie-Woogie?"

Lorsque Monsieur de la Mandel se leva, Kathy leva les yeux. Enfin un peu d'« action », pensa-t-elle. Fouillant un peu dans sa mémoire pour essayer de se rappeler ses cours de musique, ses pensées furent interrompues par la question du professeur. Ladite question, c'est-à-dire l'époque du boogie-woogie, lui fit lever la main instantanément. Rougissant un peu, elle toussota légèrement et, lorsqu'il hocha la tête pour l'encourager à répondre, elle répondit (surprise ^^) d'une voix claire :





Debout devant le tableau, son marqueur à la main, le professeur acquiesça brièvement.

Kathy détourna le regard, concentrant ses yeux sur une mouche qui essayait de passer à travers la fenêtre. Inutile de dire que la pauvre bestiole bataillait pour essayer de passer (sans succès, évidemment). Esquissant un sourire, Kathy redirigea son regard vers le tableau blanc, attendant la suite du cours.

Elle rangea prestement ses dessins, prit une nouvelle feuille de son bloc, et sortit un crayon en vue de noter le cours.

Clara fronça un peu les sourcils. Des trois disciplines que leur enseignait Monsieur De la Mandel, c'était celle dans laquelle elle était le moins à l'aise. Si ses goûts en matière de musique étaient éclectiques, ils restaient pour le moins parcellaires.
Pendant que la nouvelle élève (Haggis, c'était bien cela ?) répondait à la question du professeur, Clara était concentrée, repassant dans mon esprit la fresque chronologique relative à la Musique qu'elle avait dessinée au début de l'année précédente - entreprise caractéristique du type de projets inconsidérés dans lesquels elle pouvait se lancer dès qu'elle se sentait vaguement faible dans une matière.
Elle finit par lever la main pour compléter.

- Le terme de "boogie-woogie" est employé pour la première fois en 1928, du moins de manière "officielle". C'est le titre d'une chanson : Pinetop's Boogie-Woogie, de Clarence...

A nouveau, elle fronça un peu les sourcils.

- ... Clarence Smith. Clarence "Pinetop" Smith. Il me semble que le genre s'est popularisé dans les années 40.

Elle se tut, son attention plus tant accaparée par la fresque que par la chanson en question. "I want that gal with the red dress on, any kind of dress will do, to come over here and stand by this piano..." Ce devait être ça, oui. Elle se souvenait maintenant l'avoir écoutée l'an passé.

"Bien, bien, je vous félicite." fit Stanislas en leurs adressant un sourire à toutes deux. Il se tourna, passa une main dans la poche arrière de son pantalon pour y récupérer un mouchoir, effaça sur le tableau deux lettres qui restaient du cours précédent, rangea le mouchoir dans ladite poche, enleva le bouchon du crayon veleda qu'il tenait dans son autre main et se mit à écrire. A dire vrai il n'aimait pas écrire au tableau, c'était une des rares activités qu'il déniait. Pour deux raisons assez évidente : la première qu'il était dos à la classe, la deuxième parce qu'il savait pertinement qu'en écrivant sur la partie supérieure du tableau, il devait se dresser complètement et faisait ainsi mouvoir son postérieur de gauche à droite. Un tout petit peu bien sûr, rien de réellement signifiant mais cela suffisait pour qu'il sente quelquefois le regard de certains élèves s'y poser et ça, il n'aimait pas.

Rapidement donc, il traça en dessous du titre une longue ligne sous laquelle il écrivit d'abord les informations que lui avait donné Kathy puis fit un trait tout au bout à gauche de la frise et inscrivit en légende : "Première appelation du Boogie-Woogie" puis le titre de la chanson.

Tout en se dirigeant vers l'armoir qui ornait un pan du mur, il se demanda où était Fauste. Son absence bien qu'il ne voulait pas vraiment l'admettre le chagrinait un peu. Non seulement un bon élément comme ça aurait fait avancé le cours mais en plus sa présence lui éviter le gêne envers les autres élèves. Et pui c'était dommage pour elle aussi de ne pas pouvoir participer au cours... Finalement, il chassa pour le moment l'image de Fauste de son esprit, se tourna vers la porte de l'armoir, la déverrouilla et en sortit un lecteur de CD.

"Pour votre culture général!" fit-il tout sourire en allumant l'appareil piste 5.
"I’m In The Mood For Love, Meade Lux Lewis... Vous connaissez ?"

Satisfaite, Kathy vit le professeur dessiner une frise chronologique du boogie-woogie. Appliquée, elle se mit à la recopier. Elle fronça les sourcils : monsieur de la Mandel semblait bizarre aujourd'hui... Ça ne lui ressemblait pas. D'habitude, ses cours étaient animés, il était détendu… Mais là, il semblait un peu crispé. Fronçant les sourcils, Kathy se mit à réfléchir. Elle balaya du regard la salle de classe et remarqua aussitôt Le détail qui fit qu'elle comprit. Fauste n'était pas là. Normal, c'était l'élève préférée du prof.
Soupirant, Kathy entendit à peine le prof leur dire :



Faisant discrètement la moue, Kathy sourit : elle avait eu droit à des mois de cours sur le boogie-woogie, donc un peu mon n'veu qu'elle connaissait Meade Lux Lewis.

Elle hocha la tête, montrant qu'elle connaissait effectivement Meade Lux Lewis, puis nota sur son bloc « Meade Lux Lewis : I'm in the mood for love. »
Levant la main, le prof hocha la tête et elle lui dit :

"Parfait Kathy, parfait!" Il souria encore : ces deux élèves étaient loin d'être médiocre.

"Bien, je vous distribue une photocopie. C'est la partition du morceau dont vous parlez mademoiselle. J'aimerais que vous cherchiez quels sont les signes, les rythmes, les consonances qui pourrait être un modèle du boogie-Woogie."

Il prit le paquet de feuilles rester sur son bureau, en donna une à chacune puis retourna à son bureau et regarda sa montre. Un quart d'heure encore et il avait pratiquement finit : parfait.

Les deux élèves se penchèrent sur leurs feuilles et se mirent au travail. Il ouvrit entre temps son carnet d'absence et y fit une croix sur la ligne de Fauste Hiddenpark. Il irait lui parler pour savoir où elle avait été, bien qu'il savait au fond que pour être absente, elle devait avoir une excellente raison. Il repensa à la journée précédente et se délécta de l'image encore vive de la junkie. Un moment, il se demanda s'il allait pas la rechercher puis, il se rappela son visage couvert de larmes, les traces de ses doigts trop férocement plantés dans sa peau blanche et secoua la tête. Non, il ne pouvait pas lui refaire cette peine.

Il regarda sur sa montre : cinq minutes encore et il les interrogeraient sur ce qu'elles avaient trouvé. Se levant, il écrivit un petit résumé sur le tableau et rajouta quelques dates à celles déjà inscrite : la date de naissance et de mort de John Hammond ainsi que celle de Meade Lux Lewis, Jimmy Yancey et Pete Johnson dont ils avaient parlé avant les vacances. Il y ajouta 1938 : arrivé du boogie-woogie en France et termina en écrivant comme conclusion la définition de Gérard Herzhaft sur le boogie-Woogie : « Il s’agit en résumé d’un jeu unique de piano obtenu par le martèlement continu de la main gauche qui frappe huit basses par mesure et donne une impression soutenue de marche en cadence (...). Pendant ce temps-là, la main droite improvise des variations à l’infini dans le rythme ou à contre-chant »

Kathy prit la photocopie que lui tendit le professeur et commença à l'examiner. Elle ne se souvenait plus que c'était aussi compliqué. Aussi haussa-t-elle un sourcil, puis, au bout d'un moment, nota sur son bloc :
« Main gauche : Accords du blues (12 mesures) : croche pointée - double croche ; répétés. -> Marque du boogie-woogie.
Rythme : 8 basses par mesure (main gauche). »

Le crayon dans la bouche, Kathy se mit à réfléchir. Elle prit momentanément deux minutes pour recopier ce qu'avait noté monsieur de la Mandel et se remit à travailler sur sa partition, essayant de trouver des consonances particulières. En passant, elle consulta sa montre et fronça les sourcils : le cours était presque fini, il ne restait qu'un quart d'heure.

Au bout d'un moment, elle nota enfin :

« Main droite : improvisations dans le rythme. »

Kathy esquissa un sourire : en gros, il fallait carrément recopier la conclusion qu'il avait écrite. Bon, pas totalement, mais dans les grandes lignes.
Satisfaite, elle regarda une dernière fois la partition où elle avait griffonné quelques trucs, puis la repoussa vers son bureau. Fatiguée, elle se prit la tête entre les mains et resta ainsi pendant quelques minutes.

Clara écouta la réponse de l'élève qu'elle ne connaissait pas et la nota à la suite des explications du professeur, un peu admirative. Cette fille semblait avoir une culture musicale étendue : elle ne l'avait jamais vraiment remarquée lors de leurs précédents cours, cette leçon en petit comité n'était donc pas tout à fait vaine.
Elle remercia le professeur d'un léger signe de tête lorsqu'il lui tendit la photocopie.
"I'm in the Mood for Love". Elle pensa au film de Won Kar-wai qui portait le même titre, mais elle avait trop peu de temps (et, surtout, c'était trop peu en rapport avec ce qui leur était demandé) pour qu'elle essaie de se souvenir de la scène où la chanson était jouée. Elle se concentra donc sur la question posée et finit par écrire :

Citation :

Main gauche : 8 basses/mesure
Main droite : improvisation continue

Elle releva la tête vers le tableau et vit ce qui manquait à son commentaire. Elle jeta un oeil sur la partition et ajouta "dans le rythme" à ses notes sur le jeu de la main droite. Elle compléta ensuite avec le peu de choses dont elle pouvait se souvenir sur le Boogie-Woogie et, par chance, elles correspondaient toutes deux à la chanson qu'elle essayait d'étudier.

Citation :

La fin d'une phrase musicale est marquée par un instrument.
Le début du chant correspond au début d'une phrase musicale.

Elle fit tourner doucement son crayon entre ses doigts, pensive, puis le reposa sur sa table. C'était tout ce qu'elle était en mesure de dire sur cette partition et cela la contrariait un peu.

( Je sais pas comment ça a pu arriver que je poste sous le nom de Nolwenn... --' Ca doit être un beug de je ne sais où... Autant pour moi. Voici donc MON post.)

Stan fit à pas lent le tour des deux élèves, se pencha un instant sur chaque copie, tentant de mettre toute sa concentration sur les petites notes en pas de mouche inscrites dans les coins puis hocha successivement de la tête. Les deux jeunes filles avaient chacune un parfum agréable aux sens qui l'empêchait presque de se tenir aussi proche d'elle. Ce n'était vraiment pas une bonne idée d'enseigner exclusivement à des élèves de la gente féminine. Non vraiment.

Il s décida à trouver dans les élèves un membre masculin pour assister à ses cours. Il pouvait être attiré par eux également, les jeunes garçons étaient tout de même moins sexe appeal que les trois demoiselles qui fréquentaient le plus son cours.

"Vous devez surtout vous souvenir qu'il y a dans la main gauche un schéma à tenir. En général composé de trois notes de base. Ensuite, l'improvisation à la main droite était, du moins au début, une marque du boogie. Bien sûr quand on en joue maintenant en cours, ce n'est plus de l'improvisation."

Il prit les deux copies dans les mains et dicta en plus :
"La fin d'une phrase musicale est marquée par un instrument." puis commenta "Bonne citation mademoiselle Langlois."

Il frappa finalement dans les mains et rajouta enjoué : "Vous pouvez y aller, je ne vais pas vous donner des devoirs! Bonne journée!" Puis il retourna à son bureau, ramassa ses affaires dans son sac. Trousse, copies non utilisées qu'il reserva pour l'année prochaine, trombinoscope des élèves sur lequel, il le vit furtivement, se trouver une magnifique photo de Fauste. *Plus hautaine et plus belle que jamais.* Puis revenant à la raison, il tourna la tête vers Kathy :

"Vous vouliez me montrer vos dessins n'est-ce pas mademoiselle?"

Clara attendit patiemment que Monsieur De la Mandel ait terminé de lire leurs deux copies, sans se douter le moins du monde de l'effet que produisaient les effluves framboise de son parfum. Elle pensait toujours au film de Hong-Kong.
Lorsque le professeur se remit à dicter, elle prit consciencieusement des notes, un peu surprise lorsqu'il souligna la pertinence de sa citation. Vu ses connaissances bancales en la matière, c'était inespéré.
Et voilà, le cours était déjà fini. Elle eut un petit sourire à l'annonce qu'il n'y aurait pas de devoirs. Elle n'y était pas particulièrement réfractaire mais c'était loin d'être son hobby.
Ramassant rapidement ses affaires pour laisser l'autre élève tranquille avec leur enseignant, elle glissa son sac en bandoulière sur ses épaules et lança doucement :

- Au revoir Professeur.

Elle fit un sourire à son unique camarade de classe et sortit. Peut-être aurait-elle le temps de passer par la salle commune avant son prochain cours ?

Le professeur examina ses notes et hocha la tête lentement. Cependant il semblait bizarre, réticent à l'idée de s'approcher de ses élèves. Kathy sentit ses sourcils se froncer légèrement puis décida de laisser cela de côté en notant avec application ce que dictait monsieur de la Mandel.

Puis il annonça la fin du cours et l'autre élève, Clara, partit en souriant à Kathy. Cette dernière lui rendit son sourire, rangea ses affaires dans son sac en bandoulière gris et prit sa pochette de dessins en s'approchant du bureau de son professeur. Elle l'aperçut regarder le trombinoscope des élèves avant de reprendre son rangement.

Kathy s'approcha de la table devant le bureau sur lequel elle disposa ses trente dessins. La plupart représentaient des jeunes filles, des créatures mythologiques (licornes, elfes, fées…). Kathy toucha du bout des doigts un dessin représentant une falaise donnant sur la mer avec, au sommet de la falaise, une jeune fille dont les cheveux se balançaient au vent, ainsi que sa fine robe blanche. C'était son préféré, et le mieux réussi...
Les pensées de Kathy vagabondaient sauvagement, elle repensa au temps qu'il lui avait fallu pour faire tous ces dessins. Elle en était assez fière, soit dit en passant.

Un fin sourire se dessina mécaniquement sur les lèvres douces de la jeune fille. Elle rabattit ses cheveux en arrière et attendit l'avis du professeur en s'asseyant sur la table voisine.

C'est dingue comme il fait chaud ici.

On était en Janvier et, cependant, un grand soleil brillait au-dehors. Kathy retira sa veste en jean noire et la posa sur la table. Elle sentit une courte bouffée de fraîcheur s'abattre sur ses épaules et soupira de soulagement. .

Elle s'approcha du bureau et y déposa ses habituels dessins. Il les trouvait souvent magnifique, bien qu'il ne le dise pas toujours, même rarement. Il tentait de faire progresser son élève car il voyait bien en elle une future quelque chose dont il voulait pouvoir profiter un peu.

Elle vint s'asseoir à côté de lui, elle suait légèrement, laissait sentir à travers son parfum l'odeur du corps, animal mais doux. Elle semblait avoir chaud et quelques secondes plus tard, tandis qu'il se penchait sur ses oeuvres, il la vit du coin de l'oeil enlever cette veste qui semblait l'embêter.

"C'est un très bon travail mademoiselle."

Il fit glisser les feuilles d'une main à l'autre, s'arrêta un instant sur celle qu'il trouvait la mieux réussi. La mer surtout était d'une beauté admirable.

"Faite attention à comment vous dessiner les vagues mademoiselle. Vous êtes presque à la réalité, il faut l'atteindre!"

Soudain, il eut une idée. Il se leva de sa chaise, indiqua à l'élève de s'asseoir à sa place sur le matela moelleux lui indiqua un crayon à papier et une feuille qui trainait là et déclara :

"On va le faire ensemble."

Il se pencha par dessus son épaule, prit la main délicate qui tenait le crayon et posa la mine sur le papier.

"Il faut faire ainsi."

A ces mots, il se mit à dessiner avec sa main quelques vagues et grimaça presque : autant il avait la théorie, autant la pratique n'était pas fameuse.

"Enfin..." il était gêné du coup, se redressa et passa sa main sur sa nuque. "Vous comprenez."

Kathy sourit, et alors que le professeur examinait ses dessins, en particulier celui de la falaise, elle s'entortilla une mèche de cheveux autour de son doigt, puis la déroula, puis recommença. Il s'arrêta longuement sur ce dernier dessin, et lui lança avec encouragement :



À la décharge du professeur, Kathy avait toujours eu beaucoup de mal à dessiner les mouvements de la mer. C'était un de ses seuls défauts en matière de dessins. Stanislas l'entraîna derrière le bureau et lui proposa de s'entraîner à dessiner des vagues ensemble. Il lui prit la main et guida cette dernière, et essaya de dessiner ce qui devait ressembler à une vague. Kathy sourit, il semblait très gêné. Il connaissait sans aucun doute la théorie, autant la pratique lui manquait.



Kathy prit la mine de plomb et une nouvelle feuille et commença à dessiner des lignes fines et ondulées. Elle en dessina un certain nombre de manière très serrée, et estompa le tout avec son doigt. Ça donnait un résultat plutôt pas mal, qui ressemblait davantage à des vagues que le trait de Stanislas. Elle tendit le dessin au professeur et attendit sa réaction, anxieuse.

"Voilà! Vous avez compris!"

Il était tout joyeux, se demanda même un instant pourquoi, lui fit un énorme sourire et reprit la mine de plomb.

"Ecoutez, ce qui vous reste à faire c'est tout le travail des textures. Si vous voulez, j'ai un livre la dessus au dortoir. Vous avez un peu de temps ? On pourrait aller le voir si le coeur vous en dit."

Il lui refit un grand sourire et ramassa ses affaires, fit trois pas pour atteindre la porte, l'ouvrit et regarda par l'entrebaille.

"Nous avons même l'incroyable chance que la seconde sonnerie ait déjà retenti. Enfin... Chance. Si vous n'avez pas cours évidemment."

Il retourna au bureau, y rassembla les affaires qu'il y avait laissé. C'était le seul cours qu'il avait de la journée et il avait aussi l'intention d'enfin trouver Fauste pour lui demander pour lui parler et lui demander par la même occasion où elle avait été du cours. Il pensa non sans amertume qu'avec elle, il aurait déjà commencé Nicki de Saint-Phalle... Même si au fond, les deux élèves présentes avaient été très bonnes. Il ne les avait pas cru si cultivé.

Il se demanda ce qu'il pouvait faire d'autre et se rappela l'affaire plutôt urgente de la salle d'eau... En faite une curieuse histoire, entre deux élèves qu'il fallait régler au plus vite et pour laquelle il avait été mandé d'office car le seul physiquement capable de contrôler une confrontation entre les deux garçons. Il soupira : ses muscles, sa beauté... Quand viendrait quelqu'un qui s'intéresse juste à son intelligence?

Kathy rangea ses affaires et ses esquisses dans son sac en bandoulière et fourra sa veste dedans. Ladite besace était rouge bordeaux, décorée d'un pochoir en peace and love que Kathy avait fait l'an dernier. Elle y avait rajoutée quelques badges, pour la plupart des smileys et des groupes de reggae. Ce simple sac suffisait à la faire remarquer partout où elle allait et à lui valoir une réputation de timbrée - marginale - baba, partout où elle allait. C'était d'ailleurs quelque chose qui lui déclenchait bon nombre de crises de rire tellement c'était stupide.
Bref, passons.

Elle suivit le professeur, un peu intimidée à l'idée d'aller dans le dortoir des professeurs, mais bon.